L’intelligence artificielle s’invite dans les recrutements : quelles conséquences pour les entretiens d’embauche ?

Selon une étude de l’APEC (Association pour l’Emploi des Cadres) publiée en 2019, 27 % des entreprises de plus de 50 salariés utiliseraient des logiciels capables de scanner les candidatures à des emplois qu’elles proposent. Ces logiciels se basent sur la présence ou non de mots-clés prédéterminés dans les dossiers reçus. Cette étude, devenue indisponible, est citée dans hr.voice et entreprise-rh.

Cette première étape en annonce d’autres en cours de mise en place, basées sur des utilisations de plus en plus complexes de l’Intelligence Artificielle (IA). Une dizaine de membres d’Agir Ouest-Côtes d’Armor se sont réunis lundi 11 janvier 2021 pour échanger sur le sujet

Les outils d’IA utilisés dans les métiers des relations humaines s’appuient pour l’essentiel sur « le big data » et « l’apprentissage machine » : on alimente les logiciels par des quantités phénoménales de données dont ils tireront des relations générales et des conclusions. Les données proviennent d’analyses systématiques des réseaux sociaux, notamment professionnels, ou des bases de données des salariés. Les applications proposent de prendre en charge ou de contribuer à la gestion des plannings, des déplacements pour les métiers itinérants, au contrôle des salariés, en particulier en cas de télétravail, ou au suivi et à l’évolution des carrières. Pour le recrutement les algorithmes d’IA sont utilisés dans la conception des offres d’emploi, leur publicité, le support aux candidatures par internet ou la réalisation de tests psychotechniques automatisés.

L’IA peut interférer avec 3 éléments du processus de recrutement critiques dans nos simulations avec  les étudiants de niveau IUT ou école d’ingénieur, plus rarement avec des niveaux scolaires inférieurs.

  • Le filtrage des candidatures avec analyse automatisée des lettres de motivation et des CV. Cette technique basée sur la présence de mots / concepts clés s’est d’autant plus banalisée que les entreprises utilisatrices reçoivent des candidatures en grand nombre.
  • L’exploration systématique des réseaux sociaux pour y analyser les traces qu’y laissent les candidats. S’y ajoute la vérification automatique des références pour des candidats déjà en emploi.
  • Plus rarement, l’exécution d’entretiens automatisés qui posent des questions préenregistrées et analysent non seulement les réponses, mais également les expressions faciales ou la voix des candidats.

Ces outils permettent incontestablement aux recruteurs de gagner du temps dans l’identification de candidats en adéquation avec les postes offerts et le premier tri des dossiers, voire de se prémunir contre la subjectivité des interviewers.  A contrario, ils entraînent une déshumanisation du recrutement, risquent de passer à côté de profils intéressants mais atypiques ou de cloner les profils quand les logiciels d’IA sont nourris des données de candidats déjà en poste. La littérature en recense de nombreux exemples, en particulier sur les discriminations liées au genre dans des métiers massivement masculins (surtout) ou féminins (quelquefois), voire des discriminations sur l’origine ethnique ou géographique des candidats. Ces biais sont présents dans les données qui ont nourri les algorithmes et ne font que reproduire les comportements humains.

Il ne s’agit pas de porter un jugement de valeur sur l’utilisation de l’IA dans l’embauche. Par contre, comme cette pratique se répand, il faut que les étudiants en aient connaissance et s’y préparent. On peut tirer principalement trois leçons :

  • Le tri automatique des candidatures étant basé sur des mots ou des idées-clés, il est d’autant plus important que la lettre de motivation et le CV passent les messages « attendus » par les logiciels. L’analyse de l’offre d’emploi en est d’autant plus essentielle. Les informations fournies doivent illustrer les qualités demandées comme autonomie, esprit d’équipe, curiosité etc…
  • L’activité des candidats sur les réseaux sociaux sera potentiellement scrutée par le recruteur. Il faut y laisser des traces positives (sur LinkedIn ou un équivalent par exemple) et bien sûr y éviter les éléments personnels compromettants. Comme nous n’avons pas la puissance d’analyse de l’IA, nous ne pouvons pas effectuer nous-mêmes ce travail systématique sur nos candidats, mais à l’occasion on peut tenter une recherche rapide ; ou en alternative demander à  l’étudiant dans l’interview de décrire sa pratique des réseaux sociaux.
  • Puisqu’il est possible que l’IA analyse la voix ou le langage corporel du candidat, celui-ci doit s’entraîner à maîtriser sa voix, son regard, la position de ses mains etc… Lors du débriefing qui suit l’interview, nous pouvons si nécessaire donner quelques conseils à ce sujet.

Une Nouvelle campagne de simulations d’entretiens sous le signe de la pandémie

Les entretiens du premier trimestre de l’année 2020-2021, commencés le 18 novembre à l’IUT, se sont achevés le 17 décembre à l’ENSSAT.

Les simulations d’entretien portent sur une recherche d’emploi avec une offre trouvée par chaque étudiant pour ce qui concerne l’ENSSAT, et une recherche de stage à partir d’un nombre limité d’offres proposées aux étudiants pour ce qui concerne les étudiants du DUT Réseaux et Télécoms de l’IUT.

Si les inscriptions des intervenants ont été lancées au début du mois de novembre, l’organisation des entretiens, elle, a commencé bien en amont. S’agissant de notre quatorzième année dans les établissements de Lannion, elle est maintenant bien rôdée.

Une organisation bien rodée

La première phase se déroule de la fin-juin à la mi-juillet. Les plannings de l’année précédente sont reconduits : les deux dernières semaines de novembre pour les étudiants du DUT, les trois suivantes pour ceux de l’ENSSAT. Cette première phase est aussi celle des projets. Ainsi, il a été envisagé pour cette campagne d’étendre l’exercice à titre expérimental aux étudiants de première année de DUT, qui envisageraient d’effectuer leur seconde année en alternance, et qui devraient pour cela trouver une entreprise. Il a également été envisagé de l’ouvrir également aux étudiants de « l’année spéciale », dans l’objectif de rechercher une entreprise pour effectuer une troisième année en alternance. L’année spéciale est destinée aux étudiants qui possèdent déjà une expérience professionnelle et qui passent un DUT en un an.

C’est lors de cette première phase que sont sélectionnées les offres de stage sur lesquelles candidateront les étudiants de DUT, sur proposition de leur professeure responsable.

La seconde phase, qui démarre en septembre, consiste à préciser les plannings en fonction de la taille des promotions d’étudiants, d’où nous déduisons les effectifs des membres de l’association pour conduire les entretiens.

L’appel aux volontaires se fait environ trois semaines avant le début des entretiens à l’IUT ou à l’ENSSAT. Nous utilisons pour cela Framadate, qui fait partie du Socle Interministériel des Logiciels Libres (SILL).

Un nouveau contexte : la pandémie due à la COVID19

En juin dernier, quelques semaines après la sortie du premier confinement, se posait la question des modalités de conduite des entretiens : en face à face ou à distance. Il fut décidé :

– d’opter immédiatement pour des entretiens en visio-conférence pour l’IUT, avec le principe d’une pédagogie adaptée pour les cours de communication, ce type d’entretien étant pratiqué également dans un monde « normal » comparé au contexte de la pandémie que nous vivons actuellement.

– de maintenir le principe des entretiens en face à face pour l’ENSSAT, avec un repli si nécessaire sur des entretiens conduits à distance.

Restait à trouver l’outil de visioconférence, ainsi que les modalités pratiques. L’IUT et l’ENSSAT utilisant des moyens de communication académiques différents, nous avons recouru à la solution utilisée par notre association, meet-Jitsi, qui fait également partie du SILL. Pour rejoindre une conférence, il suffit de cliquer sur le lien communiqué par l’organisateur, ce qui est le cas de nombreuses solutions de visio-conférence. Sachant qu’il fallait conduire des entretiens pour 43 étudiants de l’IUT et 51 de l’ENSSAT, devait-on créer une conférence par entretien ? La solution a consisté à s’inspirer du déroulement habituel des simulations d’entretien, où les étudiants se succèdent dans des salles de classe où les attendent les jurys. Nous avons donc créé des salles virtuelles, dont l’intitulé se réfère à la date de l’entretien et au numéro de jury.

Ce nouveau mode de réalisation des entretiens a obligé à mettre en place une procédure de collecte des dossiers des étudiants (offres pour l’ENSSAT, CV et lettres de motivation). Les étudiants, qui habituellement remettaient leur CV et lettres de motivation aux membres du jury le jour de l’entretien, ont dû en conséquence finaliser leur dossier beaucoup plus tôt (une à deux semaines) ce qui a induit pour eux une pression supplémentaire.

Des contingences techniques

Le moment venu, les intervenants ont vérifié qu’ils avaient bien accès à leurs salles respectives, et que micros et caméras fonctionnaient bien. Quitte à améliorer/upgrader leur équipement quand il le fallait. Les entretiens se sont en général bien déroulés, si l’on excepte les quelques « bugs » inévitables, comme des étudiants dont le micro ne fonctionnait pas, ou les quelques recruteurs qui ont disparu de l’écran pour réapparaître quelques minutes plus tard à la suite d’une perte de connexion, ce qui obligeait leur collègue à poursuivre seul l’entretien.

Ce type d’entretien conjugué au concept de salle virtuelle a introduit une nouvelle contrainte : la maîtrise du temps par le jury. Nous avions prévu des séquences de 45 à 50 minutes, deux fois 20 minutes pour l’entretien et le débriefing avec l’étudiant, plus 10 minutes pour que les membres du jury puissent se concerter. Cette contrainte a pu induire quelques frustrations pour certains étudiants, qui ont eu le sentiment de ne pas avoir eu l’opportunité de « tout dire ».

Le contact visuel est un paramètre important des entretiens en face à face. Il a laissé à désirer dans le cas de nos entretiens, certains étudiants comme certains membres des jurys ne regardant pas leur caméra. Plus intéressante est la comparaison entre ce que serait un entretien en face à face avec masques, et ce qu’est un entretien virtuel où l’on peut voir le visage du candidat, et où le candidat peut percevoir les réactions du jury. Tous ceux d’entre nous qui ont eu récemment à recevoir des jeunes à la Mission locale, ou à organiser de petites réunions physiques avec des participants masqués voient tout de suite l’avantage du virtuel.

Quels enseignements peut-on tirer de ces premiers entretiens en ligne ?

Pour les intervenants de l’association, la nécessité d’avoir un bon matériel et de bonnes conditions d’utilisation : éclairage, position de la caméra par rapport à l’écran etc. Notre association a toujours mis un point d’honneur à fonctionner vis-à-vis de nos bénéficiaires selon des normes professionnelles. Ce nouveau mode de fonctionnement représente un nouveau défi face à des étudiants rompus à l’enseignement à distance.

Il a manqué aux membres de l’équipe le dialogue avec les enseignantes à l’issue des sessions d’entretiens. Nous l’avons remplacé par des commentaires lors de l’envoi des fiches de debriefing, auxquels elles ont répondu plus ou moins longuement.

Pour les étudiants, il est nécessaire d’apprivoiser ce mode d’échange en travaillant l’ergonomie du poste de travail et en recréant les conditions du mode en face à face (contact visuel). Il leur faut également prendre en compte la brièveté des échanges. Une bonne méthode pourrait consister à utiliser un pense-bête constitué d’une part, de mots-clés permettant de balayer la présentation personnelle, et d’autre part d’une courte liste de questions les plus pertinentes possibles.

Conclusion

Ces entretiens à distance ont constitué une expérience intéressante et plutôt réussie, que nous serons peut-être amenés à revivre en avril à l’ENSSAT. Si nous devions renouveler cette expérience au delà, il nous faudrait très certainement travailler sur ses modalités, tant pour les jurys que pour les étudiants. Nous espérons cependant ne pas la voir se pérenniser, sauf pour des entraînements spécifiques, car cela signifierait que les cours en groupes n’auraient pas repris, et que les étudiants seraient toujours très isolés.